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Dans la tête des asexuels:"Il y a d’autres manières de dire “je t’aime” que d’enlever ses vêtements"


Le sexe est omniprésent, des publicités aux films, jusque dans nos conversations. Pourtant, certains n’y voient… aucun intérêt.


Ce que je trouve étrange, c’est qu’on arrive à concevoir le sexe sans amour, mais pas l’amour sans sexe”. Assis face caméra pour le documentaire No Sex, diffusé sur Arte en juin, Jérémy sourit en tenant la main de sa compagne. “Pourtant, c’est tout à fait possible.” Il ne nous aura d’ailleurs pas fallu longtemps pour trouver le témoignage de personnes qui, comme lui, ne ressentent pas d’attirance sexuelle. Selon une étude britannique publiée en 2004, 1 % de la population serait asexuelle. Depuis, d’autres écrits montrent que ces chiffres oscillent jusqu’à 4 %. Le tabou, lui, est loin d’être brisé… Ne pas baiser, dans notre société hypersexualisée, c’est compliqué.


À 28 ans, Margot en parle sereinement. “Personnellement, je préfère faire des gâteaux. C’est une blague dans la communauté asexuelle, mais en ce qui me concerne, c’est vraiment vrai!” La jeune femme est polyamoureuse et entretient plusieurs relations, sans sexualité. Elle s’est aperçue de son désintérêt pour cette affaire il y a déjà un bout de temps, en secondaire, quand “madame sexe” est passée dans sa classe. “À ce moment-là je me suis dit: “Merde, on est vraiment censé faire tout ça?”” Ses premières relations à l’université lui confirment qu’elle n’a pas envie d’être déshabillée, comme elle dit. “Aujourd’hui l’étiquette asexuelle me permet de mettre des limites. Je ne comprends pas les codes érotiques, tout simplement.” Pour exprimer son désir aux personnes qu’elle aime, elle cuisine par exemple des bons plats. “Il y a d’autres manières de dire “je t’aime” que d’enlever ses vêtements.” Si dans sa tête c’est clair, ce n’est pas pour ça que, dans son entourage, les questions s’arrêtent.


La vaine recherche d’un trauma


Encore ado, Margot se voit vivement conseiller par sa gynécologue d’aller rendre visite à une sexologue. “Il y avait cette idée que, plus tard, je devais absolument avoir des enfants. L’asexualité c’est un sujet peu abor­dable car en règle générale, on pense que ce qui dévie de l’hétérosexualité est automatiquement lié a un traumatisme. Très souvent, on se retrouve avec des psys qui nous disent “mais tu verras, ça va se débloquer”. Je ne suis pas crue quand je dis que j’en ai rien à cirer.” Même sentiment de lassitude chez Rudy Dogenik qui, à 61 ans, a créé un blog et un groupe de parole sur l’asexualité pour que les personnes concernées puissent se ­rendre compte qu’elles ne sont pas isolées. Lui qui a longtemps évolué dans le milieu gay a arrêté d’avoir des relations sexuelles il y a une quinzaine d’années. “On dirait que pour les gens, l’asexualité c’est devenu pire que l’homosexualité: ça les effraie, ça les dépasse complètement. Je ne comprends pas les raisons.


Dans la patientèle de la sexologue bruxelloise Camille Nérac, cette question du désintérêt pour le sexe revient pourtant de plus en plus souvent. Rien de problématique, leur répond elle, si cette absence de désir est bien vécue. “Dans les films et la société en général, on a l’impression que pour être heureux en couple, il faut qu’il y ait une sexualité. C’est d’ailleurs un critère de bonne santé selon l’Organisation mondiale de la santé. Mais beaucoup de témoignages de personnes asexuelles démontrent qu’il n’y a pas de traumatisme derrière. L’important, c’est de considérer si cette absence de sexualité est une souffrance ou non: si la personne est heureuse comme ça, il n’y a pas lieu de faire quelque chose. Ce n’est pas à nous, sexologues, de dire qu’il y a un trouble du désir. Parfois aussi, ce n’est pas la personne elle-même qui souffre, mais le partenaire.” Beaucoup de professionnels continuent tout de même de chercher la cause de cette asexualité, qui semble augmenter avec les années. Camille Nérac pointe un possible responsable: “On peut se poser la question de savoir si le porno, qui est de plus en plus vu par des enfants et véhicule une image de sexualité brutale, n’a pas un impact sur le désir sexuel”. La cousine psychologue de Margot, elle, est en tout cas toujours convaincue qu’elle peut “l’aider” à retrouver une sexualité. “C’est stressant pour les gens d’être en face de quelqu’un de différent.


Des étiquettes qui évoluent


C’est surtout compliqué, pour les personnes asexuelles, de vivre sereinement leur absence de libido dans une relation de couple. À 45 ans, ­Dominique estime d’ailleurs que ça lui a coûté son mariage. “Notre séparation n’est sûrement pas due qu’à ça, mais en grosse partie.” Avec le désintérêt pour le sexe viennent souvent la culpabilité, les éternelles remises en question et parfois même les insultes sur fond de “frigidité” et autres joyeusetés. La quarantenaire a pris conscience de son asexualité en même temps qu’elle a découvert le terme, lors d’une discussion avec des amis, il y a environ un an. “Depuis toujours cela ne m’intéresse pas, mais avant ça, je pensais juste que je n’étais pas “normale”.” Même à sa psychologue, à l’époque, elle n’en avait pas parlé. Résultat, le sentiment de solitude peut être très dur à vivre. Margot acquiesce: “Le taux de suicide chez les per­sonnes asexuelles est à un niveau similaire à celui des personnes trans, c’est très élevé”.


Que le sigle LGBT se soit allongé d’un “A”, pour les personnes asexuelles, aide à rendre cette orientation visible. Aujourd’hui, Rudy Dogenik dit le vivre très bien. “J’ai été à la Pride avec mon petit drapeau asexuel (noir-gris-blanc-violet, officiellement créé en 2010 – NDLR). Même dans cette communauté les gens ne savent pas encore vraiment ce que c’est… Je suis un peu militant à ce niveau, pour faire comprendre aux gens qu’il ne faut pas avoir honte.” Pour la sexologue Camille Nérac, c’est utile de se mettre une étiquette si cela permet aux personnes de se rassurer et de se déculpabiliser, mais elle insiste sur le fait que rien n’est figé. “Tout au long de sa vie, on va ressentir des variations de désirs sexuels. La sexualité, ce n’est pas soit on la pratique, soit on ne la pratique pas, entre les deux il y a tout un tas de nuances.” C’est O.K. de se sentir asexuel une période de sa vie, et l’autre non, appuie Margot. “La sexualité est quelque chose de fluide”, ­sourit la jeune femme.


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